Reportage. Au marché d’Aligre, les fruits et légumes de saison retardés par les hautes températures d’automne

Sur les étalages du marché d’Aligre, dans le 12e arrondissement de Paris, on peut trouver des tomates, des figues ou encore du raisin. Un air de fin d’été ? Pourtant, le mois d’octobre est déjà bien avancé. Conséquence directe, certains fruits et légumes de saison n’ont pas encore fait leur apparition. Un constat qui surprend, voire inquiète du côté des clients comme des vendeurs.

Le marché d’Aligre, situé dans le 12e arrondissement de Paris, a fêté ses 240 ans l’année passée. Crédit : C.B.

Aux alentours de 11 heures, la rue d’Aligre, dans le 12e arrondissement de Paris, commence à s’animer. Sur cette artère réputée pour son marché populaire, les Parisiens se croisent sans trop se voir, les yeux rivés sur les étals chargés de fruits et légumes. Bon nombre d’entre eux sont emmitouflés dans des manteaux et écharpes qui connaissent ces jours-ci leurs premières sorties de placard : en ce 17 octobre, le froid commence à peine à s’emparer de la capitale, après un mois de septembre aux températures record.

« Le raisin muscat est passé de 4 à 7 euros en moins d’un an, c’est invendable »

Mohamed Scharaf, primeur au marché d’Aligre

En face du bâtiment du marché Beauvau, Lahcen Deghbarkat, 48 ans, sépare des brins de persil devant son stand bio. Il porte sa tenue habituelle, une veste et une casquette vert bouteille, sous laquelle se dissimule des yeux plissés par un sourire quasi constant. Pas du genre inquiet, il s’étonne tout de même de vivre un automne aux allures de de fin d’été, même si les années précédentes laissaient présager ce phénomène. « On vend encore des produits d’août, et c’est vrai qu’on n’a pas l’habitude », reconnaît-il en tendant des tomates charnues à un habitué. Et bien sûr, cela implique que certains produits de saison n’ont pas encore fait leur apparition.

Lahcen Deghbarkat est le premier à avoir ouvert un stand bio sur le marché d’Aligre, en 2005. Pour lui, “Tout le monde devrait avoir accès au bio”. Crédit : C.B.

« C’est agréable de pouvoir encore profiter des produits d’été, mais ça m’inquiète », reconnaît Mickaël Astier. Ce quadragénaire attaché à la consommation bio et locale s’est mis en quête d’un céleri-rave, qu’il n’a pas trouvé en balayant du regard l’étalage de Lahcen. « Je vais voir à Miyam (magasin bio sur la rue du Faubourg Saint-Antoine, ndlr) si j’en trouve un », poursuit-il en fendant la foule de passants.

Mickaël Astier profite de la pause méridienne pour acheter ses légumes bio. Crédit : C.B.

« Avec l’été qui se prolonge, la sécheresse, certains abandonnent »

Mohamed Scharaf, primeur au marché d’Aligre

Au stand d’en face se trouve Mohamed Scharaf, 31 ans, un des plus anciens primeurs de la rue. « On est comme une famille ici », se réjouit-il. Si ce trentenaire tient tant à son petit carré d’amis, c’est aussi parce que ces dernières années, bon nombre de ses confrères ont lâché l’affaire, faute de moyens. « Et on les comprend, quand on voit le prix de certains produits ! On est nombreux à se priver d’acheter. Le raisin muscat par exemple, je ne peux pas me le permettre cette année : il est passé de 4 à 7 euros le kilo, c’est invendable. » La raison : la demande dépasse largement l’offre. « J’ai beau me lever à 4 heures du matin, quand j’arrive à Rungis, certains fruits sont déjà en rupture de stock », témoigne-t-il en tendant un ananas à une cliente. Un phénomène qu’il attribue au dérèglement climatique et à l’inflation. « Avec l’été qui se prolonge, la sécheresse, je connais des agriculteurs qui abandonnent, ou produisent moins, notamment parce qu’ils ne peuvent plus consommer toute l’eau nécessaire. »

Même s’il aime sa profession, Mohamed Scharaf suit actuellement une formation de chauffeur VTC pour pouvoir arrondir ses fins de mois. Du fait de l’augmentation du prix des produits à Rungis, il a dû réduire ses marges pour pouvoir conserver sa clientèle. Crédit : C.B.

Pour Lahcen Deghbarkat, qui rencontre encore davantage de contraintes avec le bio, il n’y a que deux solutions. « Limiter la quantité, pour baisser les dépenses, et vendre sans marge, ou à perte. » Il se saisit d’un des quatre brocolis devant lui : affiché au prix de vente de 4,50 euros, il se l’est procuré pour quelques centimes de plus. Un engagement qu’il peut se permettre car il tient également une épicerie bio, mais qu’il explique surtout par une conviction : « Le bio, ça devrait être une nécessité, pas un luxe. »

Quand 13 heures sonnent, la rue s’est déjà désemplie, et les primeurs s’activent pour plier bagage. Lahcen et Mohamed seront de nouveau là demain, aux aurores. Mickaël, lui, a fait chou blanc : températures obligent, il n’a pas trouvé de céleri-rave.

Camille Baraldi

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