Discipline conviviale par excellence, la pétanque traîne avec elle une réputation machiste. Signe d’évolution, les compétitions se sont largement ouvertes aux femmes ces dernières années, avec des tournois féminins et mixtes. Mais le machisme a-t-il réellement disparu des clubs de quartiers? Nous sommes allés vérifier sur le terrain de « la pétanque batignollaise », dans le 17e arrondissement de Paris.
« Tu tires ou tu pointes ? », sur le terrain flambant neuf du club « la pétanque batigonollaise » dans le 17e arrondissement de Paris, ce mardi après-midi d’octobre, une partie vient de démarrer. Un des joueurs, Jacques, nous rappelle la signification de ces termes: « On tire quand on veut dégager une boule et on pointe quand on veut se rapprocher du cochonnet ».
Assise sur le côté, Maria, 77 ans, attend son tour. « C’est un peu machiste ici, nous confie-t-elle. Maurice accepte une femme dans son équipe mais pas deux. Jean-Gilles, lui, refuse de jouer avec des femmes. Un jour, il m’a dit que c’était parce que je ne connaissais pas les règles, mais je sais que c’est une excuse ».
A quelques mètres de là, Jean-Gilles, Maurice, Jacques, Bernard, Robert et Jo, tous retraités, jouent une triplette (trois joueurs par équipe), sur le terrain installé entre la rue Cardinet et le square des Batignolles. L’ambiance est décontractée mais les boulistes sont concentrés. Chacun leur tour, ils se mettent au milieu du cerceau, placé à distance réglementaire du cochonnet. Bernard s’apprête à se lancer, quand son co-équipier Robert l’interpelle: « Essaye celles-ci » en désignant deux boules du camp adverse placées juste devant le cochonnet. « Oui merci je sais », répond Bernard, en tentant de se concentrer. C’est au tour de Jo, seule femme participant à cette partie. « C’est parce qu’ils n’ont pas le choix, commente Maria, elle fait partie du bureau ».
Jo, carré blond et lunettes de soleil, est adhérente du club depuis vingt-trois ans. « Oh ça les arrange que ce soit une femme au bureau, pour faire le ménage et l’intendance », lance-t-elle, mi amusée, mi agacée. Vapoteuse à la main, entre deux boules, elle confirme : « C’est un milieu très macho ! Nous sommes six femmes dans le club, pour une centaine d’adhérents et c’est vrai que certains hommes refusent de jouer avec des femmes ». La bouliste ne sait pas expliquer les raisons de ce constat mais concède: « Pour tirer, les hommes sont plus forts en général ».
C’est aussi l’avis de Bernard Guyollot, secrétaire général du comité départemental de Paris, contacté par téléphone : « Pour tirer, lorsque la boule est loin, il faut avoir de la force ». Selon lui, il n’y a pas de machisme dans ce sport, même s’il admet que dans certains clubs, des femmes se plaignent d’être mises à l’écart par les hommes. Cela s’expliquerait par la proportion de licenciés masculins, largement supérieure. « C’est une question de niveau » estime-t-il.
Lire aussi : notre enquête sur le machisme dans le sport
Ce sport reste en effet très nettement masculin. Selon Xavier Grande, directeur de la Fédération française de pétanque et jeu provençal, « sur 300 000 licenciés en France, environ 50 000 sont des femmes ». Un chiffre en légère augmentation ces dernières années. La Fédération affirme multiplier les actions en faveur de la pratique de la discipline par les femmes.
Lire aussi: Interview d’Aurélie Salingue, championne de France de pétanque
Le club Lepic Abbesses Pétanque (CLAP) s’engage aussi dans cette voie. Menacé d’ être expulsé de son terrain, il a récemment fait parler de lui. Le club se targue d’être celui comptant le plus de licenciées féminines (97), et les met à l’honneur sur ses réseaux sociaux.
https://www.facebook.com/photo.php?fbid=160340973520108&id=100086326189264&set=a.108050708749135
Sur le terrain des Batignolles, Jean-Gilles, occupé à ramasser ses boules à l’aide d’un aimant attaché à un fil, réfute les accusations de Maria. « Non, ça ne me dérange pas du tout de jouer avec des femmes. » Quant aux autres joueurs, ils ne considèrent pas non plus la discipline comme réservée aux hommes : « Regardez, il y a de plus en plus de femmes qui font de la compétition », avance Bernard, chemisette jaune anis sur les épaules.
Maria, toujours assise sur son muret, se lève : « Je vais jouer toute seule, j’ai l’habitude », se résigne-t-elle. Elle saisit ses boules pour s’entraîner sur le petit terrain en contrebas. En dépit du rejet qu’elle subit, elle se rend quotidiennement sur le terrain, situé à quelques pas de chez elle. « Ca m’occupe. Qu’est ce que je vais faire à la maison ? J’habite toute seule et à la télé, on ne parle que de guerres ».
Virginia Drai
Articles liés :