La réforme des retraites ne bénéficie pas aux travailleurs de nuit

Le texte actuellement dans les mains du Sénat promet l’application d’un décret qui ferait baisser de 120 à 100 le seuil des nuits travaillées par an. Mais la disposition discrète ne satisfait pas les premiers concernés qui maintiennent l’idée d’un départ anticipé à 55 ans.

Photo : François Lo Presti / AFP

Maintenance, santé, industrie, logistique, nucléaire, services téléphoniques d’urgence… De nombreux secteurs de travail sont de véritables fourmilières la nuit, essentielles pour la pérennité des activités diurnes de la société. La réforme des retraites portée par le gouvernement Borne promet un décret pour assouplir légèrement les conditions de reconnaissance du travail de nuit, ainsi que celles de son corollaire, le “travail en équipes successives alternantes” (NDLR. le 3×8). Une proposition qui ne convient pas aux syndicats des secteurs concernés par l’activité nocturne.

De 120 à 100 nuits par an

Si le texte est adopté, et après application du décret, le seuil minimal pour être considéré comme exposé au facteur de pénibilité du travail nocturne passera de 120 à 100 nuits par an (horaires entre 21 h et 6 h) et de 50 à 30 nuits par an en travail en équipe successive alternante. Avec cette disposition, les travailleurs pourraient cumuler plus rapidement des points sur leur compte professionnel de prévention (C2P). C’est en tout cas la promesse du projet gouvernemental qui explique vouloir “faciliter et renforcer les droits acquis au titre du compte professionnel de prévention”. “Non seulement les points du C2P sont déplafonnés, mais ils pourront être utilisés pour financer un congé de reconversion”, poursuit le texte. Tout salarié affilié au régime général de la Sécurité sociale bénéficie du C2P s’il est reconnu qu’il est exposé à des facteurs de risque et de pénibilité au travail. Sur 10 critères reconnus par le code du travail, 6 critères sont éligibles au C2P :  températures extrêmes, travail en milieu hyperbare,( des lieux où la pression est supérieure à la pression atmosphérique : Sous l’eau, par exemple)  bruit, travail de nuit, travail en équipes successives alternantes, travail répétitif impliquant l’exécution de mouvements répétés. L’exposition à ces risques donne droit, via un système de cumul de points sur le C2P, à des mesures compensatoires :

En échange de 10 points, le salarié peut financer sa reconversion professionnelle en accédant à une formation. 10 points permettent également de compenser une réduction du temps de travail de 50 % (mi-temps) pendant un trimestre. Enfin, chaque bloc de 10 points permet de valider un trimestre d’assurance retraite (maximum jusqu’à 8 trimestres de majoration). Cette utilisation de points peut être demandée dès 55 ans et peut permettre d’anticiper jusqu’à deux ans le départ à la retraite.

Mais les syndicats revendiquent tout de même “un départ à 55 ans pour tous les métiers pénibles (y compris la nuit)“, explique David Arnoux, délégué syndical CGT à la raffinerie de Donges (Loire-Atlantique). “Si on veut préserver la santé des travailleurs, il faut réduire les périodes d’expositions, et cette réduction passe par un départ plus précoce à la retraite, d’où notre revendication de partir à 55 ans”, poursuit-il.

Un facteur de cancer 

Autre écueil : un grand nombre de salariés n’accèdent pas à leur compte professionnel de prévention car c’est à l’employeur de déclarer aux caisses de retraite les facteurs de risques professionnels auxquels les salariés sont exposés au-delà des seuils réglementaires. “Les droits basés sur la déclaration des employeurs eux-mêmes ça ne fonctionne pas, estime le délégué syndical. Pour étayer son propos, David Arnoux avance les résultats des études de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) : en 2017, il y avait 200 000 travailleurs en équipes successives alternantes disposant d’un C2P contre 450 000 salariés estimés dans cette situation. Même biais pour les employés exposés aux nuisances sonores : 74 000 disposaient d’un C2P alors qu’ils étaient 680 000 à être concernés par ce facteur de pénibilité. 

Reconnu par le Centre international de recherche pour le cancer comme un facteur cancérogène probable en 2007 (CIRC), le travail de nuit peut également s’additionner à d’autres externalités négatives : travail en équipe successive alternante (TESA), exposition à des agents chimiques, aux bruits… “Le travail de nuit modifie notre rythme circadien, dérègle notre horloge biologique interne, ça a un impact sur la santé, ce n’est plus à démontrer“, poursuit le délégué syndical contacté au téléphone.

Même son de cloche du côté de la CFTC. “Les deux critères de pénibilité, le travail de nuit et en équipe successive alternante restent quasi inchangés, le texte de réforme des retraites ne vise aucune amélioration concrète pour les salariés concernés”, regrette Stéphane Boudon, président du Syndicat national des employés de la prévention et de la sécurité. 

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