Alors que les Jeux se profilent à l’horizon, des initiatives sont prises pour garantir le succès de l’événement. Parmi elles, l’une des plus prometteuses est l’intégration de la Seine dans le dispositif d’organisation. Une ambition qui ne contente pas tout le monde, à commencer par les usagers de la Seine, riverains ou bouquinistes. Sans parler des récentes annulations de compétitions liées à la pollution du fleuve.
La flèche flambant neuve de Notre-Dame contemplera bientôt la Seine à nouveau. Sur le chantier, les ouvriers s’affairent. Le temps est compté. Dans 316 jours débuteront les Jeux olympiques de Paris. Tout doit être prêt pour la fastueuse cérémonie d’ouverture imaginée par les organisateurs. Sur ces mêmes berges, le 26 juillet prochain, 600 000 spectateurs seront massés dans les tribunes pour assister au défilé des quelque 10 500 athlètes venus des quatre coins du globe, répartis dans 150 embarcations. Un record et une première dans l’histoire de la compétition. Depuis la première édition des Jeux modernes à Athènes en 1894, en effet, toutes les cérémonies d’ouverture s’étaient déroulées dans une enceinte sportive.
« Faire du fluvial une pierre angulaire de l’évènement »
Thierry Guimbaud, secrétaire général de VNF
Un défi logistique que les organisateurs sont prêts à relever. Sous l’impulsion de la Mairie de Paris, le comité organisateur a vu grand et compte bien accorder à son fleuve une place de choix dans le dispositif de ces JO. Le 5 octobre, le comité d’organisation Paris 2024 a signé une convention avec VNF (Voies Navigables de France), chargé de la gestion des voies navigables en France, pour faire du fleuve un pilier de cet évènement planétaire. Pour Thierry Guimbaud, directeur général de l’établissement public : « Les Jeux de Paris 2024 constituent une opportunité sans précédent de démontrer tout ce que les voies navigables peuvent apporter à la ville durable de demain. À travers la signature de cette Convention [passée avec le comité Paris 2024], nous réaffirmons notre engagement et notre volonté à faire du fluvial l’une des pierres angulaires de la réussite de cet événement d’ampleur planétaire au plan environnemental, et de son héritage. »
L’accord prévoit notamment le recours à la logistique fluviale pour les opérations de transport de biens et matériaux vers les principaux sites olympiques situés à proximité de la Seine. Mais aussi la promotion du transport fluvial de passagers, en collaboration avec Ile-de-France Mobilités. Côté « terrain », des épreuves (triathlon et nage en eau libre) devraient se dérouler directement sur le fleuve. Le conditionnel est ici de rigueur. En 1990, le maire de Paris d’alors, Jacques Chirac, avait assuré : « Dans trois ans, j’irai me baigner dans la Seine devant témoins pour prouver qu’il est devenu un fleuve propre ». Le 20 août dernier, pourtant, le « test event » de triathlon a été transformé en duathlon en raison de la pollution de l’eau.
Des riverains sceptiques, les bouquinistes en colère
Pas de quoi doucher l’optimisme de Tony Estanguet. Le canoéiste, triple médaillé d’or olympique et président du comité d’organisation de Paris 2024, se veut rassurant : « On aura la possibilité aussi de décaler les jours de compétition pour avoir la meilleure fenêtre de qualité de l’eau. On a donc un bon niveau de confiance aujourd’hui pour maintenir les épreuves dans la Seine. » Les promesses n’engagent que ceux qui les croient. Jean-Paul, qui promène son chien sur les quais, n’est pas de ceux-là. Le retraité de 78 ans vit sur l’île Saint-Louis « depuis toujours ». « Son fleuve », il le connaît : « C’est dégueulasse. Je ne sais pas comment les sportifs acceptent de se baigner dans un truc pareil. Je leur souhaite bien du courage ! »
Un peu plus loin, entre le pont d’Arcole et le pont Notre-Dame, les caisses vertes des bouquinistes sont vouées à disparaître le temps des olympiades. « C’est n’importe quoi ! s’emporte Marie, 39 ans, propriétaire de l’une d’entre elles. Ils nous foutent dehors alors que c’est la période de l’année où nous réalisons le plus de ventes. Nous attendons une compensation financière. Pour l’instant, c’est le flou complet » Sur une petite table posée à quelques mètres de là, Camille Goudeau, bouquiniste elle aussi, lève les yeux de son petit cahier vert et pose son stylo. Le trentenaire, dont le premier roman Les Chats éraflés (Gallimard) est paru en début d’année, est également écrivain : « Je peux écrire en travaillant, ou travailler en écrivant, c’est selon », plaisante-t-elle. D’une voix douce et posée, la jeune femme partage les inquiétudes de Marie et s’interroge : « Nous savons qu’ils veulent retirer nos boîtes, essentiellement pour des raisons de sécurité. Mais personne ne nous a dit comment, ni pour combien de temps. Nous attendons …. »
Des questions que ne se pose pas leur « ouvre boîtes » [le nom donné aux employés bouquinistes, NDLR], Julian. Le jeune homme de 21 ans est occupé à remettre en ordre son étal. Moins loquace que ses collègues, il semble résigné : « En nous écartant ainsi, c’est une partie de l’âme de Paris qui disparaît. C’est dommage mais malheureusement nous sommes impuissants. Nous avons dit notre désaccord aux autorités qui sont restées sourdes à nos revendications. Mais c’est comme ça, que voulez-vous qu’on fasse … »