Pour vendre des avocats, les restaurants « brunchs » et les primeurs emploient un vocabulaire quasi-érotique. Une stratégie aussi payante sur le plan marketing que désastreuse au niveau écologique.
« Greenporn ». C’est le slogan gravé en lettres dorées à l’intérieur de l’Avocateria, un restaurant parisien situé vers la Gare de Lyon (12e), spécialisé dans les avocats sous toutes ses formes. Dans ce type de restaurant-brunch tendance de la capitale, l’avocat répond à deux prérogatives : manger sain, « healthy », mais aussi manger « beau », voire « sexy ». En témoigne le toast bien nommé « avo crush » et son houmous crémeux, serti de petites pousses germées. Éminemment instagrammable.
Quelques rues plus loin, derrière le petit comptoir rose pâle du « Cakepart », Sarah, gérante du restaurant-brunch a opté pour une esthétique qu’elle qualifie de « tout en transparence et en couleur pastel ». L’enseigne cosy et romantique est l’écrin idéal pour vendre le best-seller : le cake à l’avocat. « Je voulais revisiter le trop classique avocado toast », sourit la gérante de 23 ans. Cette manière de décliner un aliment, correspond à ce que le professeur de marketing Benoît Heilbrunn appelle « la ludification alimentaire ». Il s’agit, chez les enfants de « déguiser un aliment pour faciliter la prise alimentaire ». Pour les adultes, cela peut prendre une forme plus subversive. C’est le principe, explique Heilbrunn, du « porno alimentaire [food porn] », qui cherche à « capter notre libido pour nous faire consommer ».
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Dans les médias et la culture diététique : l’avocat est à la fois « gourmand » et « sexy »
Entre désir et culpabilité
Confortablement installée sur les sièges en raphia du brunch Brother Sister (11e), Solène 27 ans, jeune cadre de start-up en pauses déjeuner, confie que l’avocat est pour elle « un aliment doudou, hyper réconfortant ». Pourtant, ce mardi 17 octobre, il y a des pâtes à la sauce tomate dans son assiette. Elle s’explique : « l’avocat, ça me fait hélas plaisir d’en manger, mais je sais au fond que c’est un peu ridicule. Ça coûte cher et surtout, c’est une catastrophe écologique. J’évite donc d’en prendre au restaurant… Et d’en acheter dans la vie ».
« Maintenant, si on veut avoir un brunch qui fonctionne, on est obligé de mettre de l’avocat partout, et ce, pendant toute l’année. »
Enzo, gérant de la brasserie parisienne « Le Centreville » (Paris 12e)
Dans Le Centreville, une petite brasserie typiquement parisienne, Enzo, le gérant de 31 ans fait lui aussi grise mine quand on lui parle de la mode de l’avocat. « Je trouve toute cette tendance abusive » soupire-t-il, avant de poursuivre : « maintenant, si on veut avoir un brunch qui fonctionne, on est obligé de mettre de l’avocat partout, et ce, pendant toute l’année ». Le restaurateur utilise en moyenne 40 avocats en une journée de semaine et 70 pour les jours de week-end. Soit en moyenne 340 avocats par semaine pour son seul restaurant.
Avocat : une consommation exponentielle à l’échelle mondiale
Source : Le Planétoscope
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Une glamourisation destructrice
Les enseignes comme l’Avocateria, mais aussi les petites épiceries bios de quartier se targuent de commercialiser uniquement des avocats espagnols, considérés comme plus écologiques que les avocats mexicains. C’est le cas de Christophe, gérant de Pimlico (12e), une épicerie indépendante, qui annonce « vendre beaucoup avocats, et ce, pendant toute l’année ». « Tous mes produits sont bios, je n’ai pas à plaider coupable », blague-t-il, avant de souligner le jeu de mots avec le terme « avocat ».
L’empreinte hydrique de l’avocat
Source : Bruno Parmentier, consultant et conférencier en développement durable
Mais cela n’a rien de drôle, pour Bruno Parmentier, consultant et conférencier spécialisé dans le développement durable. En Espagne, explique-t-il, « on déterre des oliviers pour y planter des avocatiers à la place, ce qui vide les nappes phréatiques et contribue à la désertification du pays. Tandis qu’au Mexique 2/3 des avocats sont aux mains des narco-trafiquants ». Et de conclure « même si un aliment est à la mode, il faut garder en tête qu’en l’achetant, on achète aussi le monde qui va avec ». Un monde de sécheresse et de narcotrafic, bien loin du glamour et du réconfort.