En dépit du climat hivernal et du danger, ils sont nombreux à faire le choix de dormir dehors. Nous les avons rencontrés dans les Hauts-de-Seine à l’occasion d’une maraude nocturne de l’association Magdalena.
Il faut enjamber les flaques d’eau ce jeudi soir pour approcher Marcello. Au son de la voix des maraudeurs, l’homme d’une cinquantaine d’années ouvre un œil, se redresse, s’étire, et les salue avec un sourire. Ce sans-abri d’origine roumaine dort sur des cartons, sous le porche du marché de Billancourt depuis plusieurs mois. S’il accepte volontiers un café, un bouillon de légumes et une barre chocolatée, il refuse catégoriquement d’aller passer la nuit dans le centre d’hébergement pourtant situé à quelques rues d’ici. Son français est pauvre alors, les sourcils froncés, il mime les raisons qui lui font préférer la rue au foyer. Il faut comprendre l’alcool, la drogue, le vol et l’agressivité des autres sans-abris. La dernière fois qu’il y a passé la nuit, on lui a proposé de la drogue. Mais comme ses gestes de rejet en témoignent, il ne touche pas à cela. “On essaye toujours de les persuader de se rendre dans les foyers, mais le plus souvent, il n’y a rien à faire”, regrette Maxime, chef de maraude de l’association Magdalena. “Il faut vraiment qu’ils soient malades ou désespérés pour s’y résoudre”. Mais le bénévole concède : “Évidemment, il y a de la violence dans les centres d’hébergement. Les sans-abris au même endroit, c’est une concentration de problèmes”.
Une solution alternative pour eux : la nuit d’hôtel. Encore faut-il pouvoir se la payer. Près d’une sortie de métro de la ligne 9, comme tous les soirs, Estelle, âgée d’une quarantaine d’années, fait la manche. “Surtout pas assise, ça fait clochard”, ironise-t-elle. L’objectif de sa nuit est de récolter suffisamment d’argent pour se payer une chambre d’hôtel où elle pourra se reposer au lever du jour.
Si certains n’envisagent pas de passer la nuit sous un toit, c’est aussi parce que leur état psychique ne leur permet pas. Rencontrée près du pont de Billancourt, à l’entrée d’Issy-les-Moulineaux, Camilla vit cachée sous un amoncellement de sacs, valises et caddies, et n’échange jamais plus de deux ou trois mots. “Elle a certains des symptômes du syndrome de Diogène, un trouble du comportement qui associe une négligence de l’hygiène et une tendance à l’accumulation d’objets”, explique le responsable de la maraude. Une chose qui n’empêche pas les membres de Magdalena de l’inviter à rejoindre un foyer pour la nuit, malgré ses refus réitérés.
“Je suis bien comme ça”
Sous sa tente verte installée au bord de la Seine, Paulo*, 33 ans, pourrait dormir au chaud “chez son beau-père” ou “chez sa sœur”, mais il a trouvé sa routine et n’a pas l’intention d’en changer. “Je suis bien comme ça. Je suis libre. Je préfère passer ma nuit dans ma tente que dans une chambre d’hôtel”, raconte le jeune homme, malgré l’évidente précarité de sa situation. Il vit de larcins le jour, s’endort tous les soirs avec un joint et un somnifère et se rend chaque matin aux petits déjeuners “de l’amitié” organisés par une autre association à la Défense.
Peur de dormir dehors ? ”Jamais”, lance-t-il sans hésiter. Pour se défendre face à d’éventuelles tentatives d’agressions nocturnes, il a “ce qu’il faut” à l’intérieur de sa tente et dit pouvoir compter sur un voisin d’infortune. Les rats, qui prolifèrent à la nuit tombée sous ce pont secoué par le passage du tram, ne sont pas non plus un problème. Paulo suspend au-dessus de sa tente tout ce qui pourrait contenir des restes alimentaires pour ne pas les attirer. À la rue depuis quelques mois, c’est la première fois qu’il rencontre les bénévoles de l’association. Le rendez-vous est déjà pris pour le jeudi suivant.
*Le prénom a été modifié