Toujours renvoyées à leur condition de femmes, les artistes musiciennes représentent une minorité des acteurs de la nuit. Pourtant, elles prennent de plus en plus de place et demandent à ce qu’on écoute simplement leur musique.
Alors que les représentations ont surtout lieu le soir ou la nuit, Silly Boy Blue (artiste interprète), Margaux Jaudinaud (artiste interprète, Ottis Cœur / Vera Daisies) et Chana (DJ, batteuse de Coal Noir et Soif) vivent des heures nocturnes contrastées : entre exaltation créative et colère face aux comportements sexistes.
La nuit, un milieu d’émancipation et de créativité
Emancipation, expression, liberté, création… Pour Chana, Silly Boy Blue et Margaux Jaudinaud, la nuit représente toutes ces choses à la fois. La nuit leur permet de faire tout ce qu’elles ne peuvent pas faire dans la journée : Chana parce qu’elle exerce un métier à mille lieues de la musique, Silly Boy Blue et Margaux car il s’agit d’un moment où elles se sentent “en paix” et expriment leur créativité plus facilement.
Quand on cherche un souvenir d’une nuit parfaite, ce sont en réalité les émotions ressenties dont on se rappelle. Chana parle de ce sentiment d’osmose quand elle mixe, quand des inconnus vont se rencontrer seulement grâce à une chanson qu’elle était “la seule de [s]on entourage à écouter depuis des années”. Silly Boy Blue, elle, préfère “l’imprévu de la nuit”, quand Margaux parle de “moments de liberté”. Pourtant, si la nuit accentue nos émotions, elle dévoile aussi les démons de certains — ou tout du moins, leur sexisme.
“Le problème, c’est qu’on est plus vues comme des femmes que comme des artistes “
“C’est aussi un milieu qui montre les moins bonnes facettes de l’humanité” rappelle Chana, pour qui “le milieu de la nuit n’est pas tout rose”. L’industrie musicale, comme le reste de la société, a été faite “par et pour des hommes” d’après Silly Boy Blue. La scène nocturne est aussi un moment où les artistes font face à des comportements sexistes venant du public ou des techniciens… Qui ne les pensent pas capables de brancher une guitare.
Après quelques concerts avec Ottis Cœur, Margaux a notamment essuyé des commentaires condescendants d’hommes plus âgés — “des vieux boomers” — lui indiquant qu’elles n’étaient “pas des petites chanteuses, pas des femmelettes” — quoique cela signifie.
“Le vrai problème, c’est simplement qu’on est plus vues comme des femmes que comme des artistes” détaille Chana, qui dit être fatiguée de devoir “se battre dix fois plus que les mecs” simplement parce qu’elle monte sur scène. Toutes regrettent qu’on continue d’associer une artiste à son sexe, ce qui empêche de normaliser la chose, et force les musiciennes à sans cesse se remettre en question, jusqu’à interroger leur propre légitimité.
More Women on Stage
“Il faut séparer l’homme de l’artiste”. C’est une expression qu’on entend souvent lorsqu’un artiste masculin se retrouve accusé, souvent de violences sexuelles. Pourtant, les artistes féminines n’ont pas ce privilège : elles représentent 17 % des artistes programmées en France selon le Centre National de la Musique (CNM), et seraient deux fois moins visibles que leurs pairs masculins.
Pour faire un doigt d’honneur aux comportements sexistes qui restent courants, de nombreuses initiatives ont été mises en place par des femmes, pour des femmes. C’est notamment le cas de l’association More Women on Stage, qui lutte pour une plus grande représentation des femmes sur scène mais aussi du côté technique, ou encore Go Girls, initiative qui met en avant les femmes dans l’industrie culturelle.
Cependant, toutes restent optimistes, notamment grâce à la sororité entre actrices de l’industrie musicale, qu’on a l’habitude de comparer et mettre en compétition. “Dans les années 2000, c’était plutôt “la nana dans la bande de mecs”, aujourd’hui on a envie d’inclure de plus en plus de meufs” explique Chana. “On se sent appartenir à un groupe qui souhaite faire changer les choses, on se donne de la force, c’est inspirant. […] Je ne sens plus trop cette compétition entre femmes, qu’on nous a inculquée depuis toutes petites” continue Margaux. Une sororité nécessaire, pour que la nuit continue d’être un lieu d’émancipation et de créativité, où tous les artistes peuvent s’exprimer.