Mettre de la beauté là où il n’y en a plus, c’est la mission que se sont donnés deux artistes français. Derrière des noms énigmatiques tels que « Les trottoirs » ou encore « Ememem » — tiré du bruit de sa moto —, ces deux français exposent leur art dans la rue, que ce soit pour faire sourire les passants ou bien réparer les nids de poules et autres cavités abandonnées.
3340, c’est le nombre de nids de poule signalés à Paris sur l’application Waze. Ces cavités dans la chaussée, de forme arrondie, provoquées par des enlèvements de matériaux, peuvent causer de nombreux accidents – de la route ou piéton —, en plus d’être esthétiquement peu plaisants. À l’origine, le terme date de 1851, époque où les poules avaient pour habitude de se mettre dans ces trous au milieu des routes… et d’y pondre leurs œufs de temps à autre. Aujourd’hui, si ces nids de poule sont détestés des automobilistes qui s’empressent de les signaler, des artistes leur ont trouvé un intérêt nouveau.
Réparer les nids de poule avec la technique du flacking
À Lyon, l’artiste Ememem remplit nids de poule et autres trous dans le trottoir à l’aide de mosaïques, transformant un potentiel danger et un défaut de voirie en attente de réparation en une œuvre d’art éphémère – jusqu’à ce que la voirie décide de réparer le vilain, ou non. Il est même à l’origine du terme « flacking », mot inventé dérivé de « flaque », puisque c’est ce que sont ses œuvres d’art : des « flaques » de mosaïque qui habillent le paysage urbain.
Porte de Bagnolet à Paris, une nouvelle « flaque » a fait son apparition cet été, place Édith Piaf. Alors que les rues alentours sont en travaux, Ememem a choisi cette place cet été pour réparer un trou sur le trottoir, potentiel danger à quelques pas des escaliers.

https://www.instagram.com/p/CumVJaaItt_/?utm_source=ig_web_copy_link&igshid=MzRlODBiNWFlZA%3D%3D
Une œuvre que la plupart des passants ne remarquent pas ou plus, occupés à courir après le bus ou le métro à proximité. Mais un service qu’apprécie Nina, habitante du quartier et mère de famille qui a l’habitude de venir discuter avec ses amies sur la place. Car si les piétons peuvent faire attention où ils mettent les pieds, « c’est plus compliqué avec la poussette, les roues se prennent dedans et ça réveille ma fille ». Originaire de Lyon, Ememem agit la nuit, et Paris n’est pas son terrain de jeu préféré. Pourtant, Nina, qui ne le connaît pas, apprécie son travail et repère quelques trous sur la place qui feraient d’aussi belles œuvres. « On signale les nids de poule et les trous aux services de voirie, mais le temps qu’ils les réparent, on n’est pas à l’abri d’un accident ! », déplore-t-elle.
L’art de ralentir les passants
À travers la France, de nombreux artistes habillent nos rues de couleur, attirant l’œil sur les imperfections de nos chaussées. C’est également le cas de Mélanie, alias @Lestrottoirs, qui peint les plaques d’égouts à l’aide de peinture acrylique. Une peinture éphémère, qui part à l’eau, mais qui permet d’embellir nos rues jusqu’à la prochaine averse. Pour elle, l’idée n’est pas de réparer la chaussée, mais de « montrer qu’un endroit méprisé, sale, où chacun balance ses déchets, et qui peut parfois être dangereux, peut être rendu plus joli en mettant un peu de couleur ». Après des années à photographier ses pieds sur l‘art urbain qui croisait sa route, Mélanie a décidé d’apporter sa pierre à l’édifice.

https://www.instagram.com/p/CxH7BukNV3E/?utm_source=ig_web_copy_link&igshid=MzRlODBiNWFlZA==
Demain, elle doit peindre les plaques d’égouts qui entourent le musée des égouts de la ville de Paris, qui fête les deux ans de sa réouverture au mois d’octobre. Pour ce jeu de piste commandé sous forme d’escape game, un seul critère pourrait faire tomber à l’eau ce projet : la pluie prévue dans les jours qui viennent, et qui pourrait l’empêcher de mener à bien sa mission. Tout comme les services de voirie qui peuvent décider de réparer les chaussées et faire disparaître les œuvres d’Ememem, la pluie peut elle aussi effacer les peintures de Mélanie. Des critères qui permettent d’apprécier d’autant plus leurs œuvres quand on les trouve, tant leur durée de vie incertaine en fait des rencontres rares.
*Contactés, l’artiste Ememem et les services de la voirie de Paris n’ont pas répondu.