TÉMOIGNAGE – Dans la tête d’un insomniaque

À quoi pense quelqu’un qui n’arrive pas à trouver le sommeil ? Quelles sont les pensées, les questions ou les angoisses qu’affronte un insomniaque ? Samuel Lacroix, 29 ans, nous raconte ses six années sans sommeil, et son combat pour le trouver.

Photo : Clara Degiovanni

1er acte : « il faut que je dorme » (2016-2018)

J’ai commencé mes insomnies en 2016. Je traversais alors une rupture amoureuse et je subissais de grosses crises d’eczéma, particulièrement violentes la nuit. Mon insomnie était orientée vers une idée simple, mais obsédante : il faut que je dorme. Habité par cette pensée, je m’agaçais, je tempêtais, je tournais dans mon lit. Je me disais que sans sommeil, je n’allais jamais tenir le lendemain, que ma journée allait être un cauchemar. J’ai pourtant découvert pendant cette période que le corps humain était doué d’une incroyable résilience. Certes, j’étais fatiguée, j’avais une gueule de zombie, mais je tenais le coup… Même quand je m’endormais à 6 heures du mat’ plusieurs jours d’affilée.  

2e acte : « je dois me lever » (2018-2019)

Dans un deuxième temps, j’ai pris conscience qu’il fallait que j’arrête de m’imposer le sommeil. L’impossibilité de dormir était devenue un constat, une sorte de fatalité et non un problème à résoudre à tout prix. Je me suis alors mis à regarder des vidéos ASMR [NDLR. L’ASMR, de l’anglais « Autonomous Sensory Meridian Response », est une technique de relaxation qui passe par des sons]. Ces vidéos ne m’endormaient quasiment jamais, mais elles m’apaisaient.  Je me disais alors : « Même si je ne dors pas, au moins je me repose. » C’était une pensée rassurante. J’ai aussi décidé à cette époque de me lever pendant mes insomnies, de vaquer à mes activités. Ma chambre est petit à petit devenue un lieu uniquement dédié au sommeil. Les autres activités –lire ou regarder mon portable –, étaient réservées au salon. Mais certaines heures me semblaient particulièrement intolérables, notamment le cap des 3 heures du matin. Là, je me disais qu’il n’était plus temps de quitter mon lit, de faire des jeux d’échecs, ou de fumer une clope à la fenêtre… Je songeais alors à tous les gens en train de dormir et je mesurais la chance qu’ils avaient. Je crois que le seuil ultime de ma détresse, c’est quand je commençais à voir le jour se lever, vers 6 heures du matin en été. 

3e acte : « je pense trop » (2019-2021)

Quand je me suis mis avec ma compagne, en 2021, j’avais moins de facilité à me lever pour aller dans une autre pièce. Je ne sais pas trop pourquoi, mais je me disais qu’il fallait que je reste avec elle. J’étais donc dans notre lit, et j’accueillais toutes les pensées qui s’offraient à moi. Je pensais par exemple à tel film qu’on avait vu ensemble, je me disais que tel acteur me faisait penser à tel homme politique, lequel m’évoquait cette réforme en cours, qui renvoyait à tel livre retraçant l’histoire du socialisme…  Parfois, ce flot de pensées était plus intime. Il me renvoyait à des souvenirs très profonds et enfouis, à des détails de l’enfance. Je me suis notamment souvenu d’un repas à la cantine où j’avais pu me moquer d’un copain qui était en train de pleurer. J’ai alors été pris d’une grande honte et je me suis demandé ce qu’était devenu ce camarade. 

4e acte : « la découverte de l’origine du mal ». (2021-2022)

J’ai commencé à retrouver le sommeil au moment où j’ai réussi à venir à bout de mon eczéma. Après des mois d’errance médicale, le diagnostic est tombé : je souffrais d’une dermatite atopique sévère. J’ai alors obtenu un traitement qui fonctionne et mon sommeil est revenu. Certes, je ne peux pas dire que tout est fini. J’ai encore du mal à m’endormir au moins une fois par semaine. Mais j’ai appris à apprivoiser mon flux de pensée. Je m’autorise à prendre mon téléphone pour me renseigner sur les choses qui traversent mon esprit. J’accepte ces moments d’investigations et d’introspections. 

Je ne suis plus en lutte avec la nuit.  

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